Episode 1

1 Ceron 995 

VISALA : Je m’appelle Visala Fisher, je suis née le 21 Aria 976 (j’ai 19 ans). Je viens de Farens, mais je suis venue m’installer à Thalion pour mes études. Mes parents s’inquiétaient un peu au début, à l’idée de me voir déménager seule si loin, du jour au lendemain, mais ils s’y sont habitués avec le temps. Je ne suis plus une enfant, et de toute façon, comme je leur ai expliqué avant de partir, ils n’avaient qu’à vivre dans une plus grande ville, ou au moins une avec une école vétérinaire...
L’homme -- il s’appelait Richard -- m’interrompit poliment d’un geste de la main, affichant un air légèrement perplèxe, ce qui m’étonnait un peu, mon histoire n’étant vraiment pas si difficile à suivre.
RICHARD : Merci, Visala, mais lorsque je t’ai demandé de me parler de toi, je n’en attendais pas autant. A vrai dire, c’est surtout ton cursus professionnel qui m’intéressait.
J’acquiesçai d’un hochement de tête. C’était assez logique, à vrai dire, il s’agissait d’un entretien d’embauche après tout. J’aurais certainement eu la même réaction à sa place, pensai-je.
RICHARD : Où as-tu travaillé avant ?
VISALA : J’ai vendu de la limonade dans ma rue quand j’avais douze ans, pour m’acheter une planche à roulettes. Puis j’ai revendu la planche à roulettes, aussi. Ce n’était pas pour moi finaelement...
RICHARD : Je vois...
VISALA : Ce n’était pas une question d’équilibre, pourtant. Je suis assez agile, j’ai fait de la gymnastique pendant plusieurs années. C’est même à une des filles du club que j’ai revendu la planche...
RICHARD : D’autres expériences ?
VISALA : Je m’occupe des chiens et des chats de mes voisins lorsqu’ils partent en vacances ou qu’ils travaillent. Oh, et une tortue, aussi. Beaucoup de gens ont des animaux de compagnie dans mon immeuble. Ils ne me payent pas beaucoup, mais ça ne me dérange pas, j’aime les animaux. C’est pour ça que mon envie de devenir vétérinaire tombait plutôt bien.
L’homme fronça un sourcil. Comme s’il n’était plus qu’à moitié perplèxe. Je pris cela comme un signe de progrès.
RICHARD : Pourquoi veux-tu travailler ici ?
VISALA : J’ai toujours aimé les cinémas. Ca sent le pop corn, et la moquette rouge est tellement épaisse, elle donne envie de marcher dessus pieds nus.
RICHARD : Tu n’auras pas le droit de marcher pieds nus pendant le travail, Visala.
VISALA : Non, bien sur. Je me retiendrai, rassurez-vous.
L’homme me dévisagea en silence quelques instants avant de hausser les épaules et de me serrer brièvement la main.
RICHARD : Entendu, tu es embauchée.
Je fis de mon mieux pour paraître moins surprise que je l’étais réellement. Evidemment, que j’étais embauchée. Il aurait été fou de ne pas m’embaucher.
RICHARD : Tu as l’air surprise.
VISALA : Oh non, pas vraiment. Je pensais juste que ce serait plus compliqué.
RICHARD : Tu n’auras qu’à distribuer du pop corn et des crèmes glacées pendant les publicités, Visala. Rien de compliqué.
Je souris en guise de réponse, me sentant quelque peu apaisée. “Rien de compliqué”, exactement le travail que je cherchais. La journée commençait plutôt bien. 

Je rentrai chez moi d’un pas serein, laissai tomber sur la table basse qui me servait de bureau la malette noire que j’avais avant l’entretien -- pour une raison qui m’échappait à présent complètement -- remplie d’autant de feuilles blanches que j’en étais capable et poussai un bref soupir de soulagement avant de quitter à nouveau mon studio. Je grimpai quatre à quatre les escaliers jusqu’au dernier étage, ouvris la porte de l’appartement de Mme Kelby, nourris ses trois chats, en carraissai deux, esquivai un coup de patte du troisième (Ferdinand ne m’aimait pas), et redescendis au rez-de-chaussée où un concert d’aboyements avait déjà commencé pour moi. Je sortis Colonel et Peluche, jouai avec eux dans le parc une partie de la matinée et les ramenai chez eux. Je jetai un coup d’oeil à ma montre et, réalisant que je n’avais plus qu’une heure devant moi avant mes cours, attrapai le billet que Monsieur et Madame Ardall avaient laissé pour moi sur la table de la cuisine et claquai la porte derrière moi, promettant aux deux gros chiens que je reviendrais m’occuper d’eux dans la soirée.
Je quittai l’immeuble résidentiel d’un pas rapide et traversai la rue qui me séparait de la petite épicerie où je faisais généralement mes courses avant d’aller à l’université.
J’attrapai un panier et y jetai machinalement quelques barres chocolatées, un paquet de pâtes et une bouteille de soda à la cerise, supposant que ces quelques vivres me suffiraient pour la journée. J’arpentai tranquillement les rayons du magasin, vides à l’heure du déjeuner, me dirigeant nonchalemment vers le comptoir. Un homme s’y trouvait déjà, peinant manifestement à choisir une marque de cigarettes. Je me félicitai intérieurement de ne pas fumer, très satisfaite de m’épargner ce genre de dilemme, une note positive de plus au milieu d’une journée déjà si agréable, songeai-je.
Je posai un regard absent sur une paire de lunettes de soleil en forme d’étoiles accrochée à un présentoir, les essayai devant le petit miroir situé au sommet de la colonne, quelques centimètres trop haut pour me permettre d’admirer plus que la partie supérieure de mon crâne et le noeud rose qui retenait ma queue de cheval, haussai les épaules et reposai les lunettes.
Semblant alors me remarquer pour la première fois, l’homme qui se tenait toujours à la caisse se tourna vers moi et m’invita poliment à passer devant lui pendant qu’il faisait son choix.
Je lui souris, le remerciai et vidai mon panier sur le comptoir, regrettant déjà de ne pas avoir pris les lunettes.
Je sentis un objet froid contre l’arrière de ma tête, puis une main se referma sur le col de ma veste, me forçant à me tenir sur la pointe des pieds et m’immobilisant.
La voix si sympathique du fumeur indécis s’éleva derrière moi sur un ton beaucoup moins plaisant -- bien qu’un peu chevrottante, trouvai-je -- s’adressant maintenant au jeune employé.
HOMME : L’argent, maintenant !
L’adolescent -- qui s’appelait Greg, si le badge qu’il portait lui appartenait bien -- leva immédiatement les mains, même si le braqueur ne le lui avait pas demandé. Je jugeai qu’il s’agissait cependant d’une sage précaution et hésitai à l’imiter mais préférai me retenir, pour ne pas gêner mon ravisseur.
GREG : Oh, non, pas encore !
HOMME : Dépêche-toi !
Greg vida le contenu de la caisse sous nos yeux, tremblant à présent comme une feuille.
GREG : C’est tout ce que j’ai ! Mon patron la vide tous les jours et emmène l’argent à la banque depuis le braquage la semaine dernière ! J’ai juste de quoi rendre la monnaie !
J’entendis un grognement de frustration dans mon oreille droite et me fis la réflexion qu’il s’agissait probablement du braqueur le plus malchanceux que j’avais jamais vu. Je ne me souvenais bien sur pas avoir déjà vu d’autre braqueur, mais je voyais mal comment un autre aurait pu avoir moins de veine...
Le canon de son arme s’enfonça un peu plus fort contre ma tête me forçant à faire un pas en avant.
HOMME : Ramasse le fric, vite.
J’obéis, soulagée d’avoir une utilité aux yeux du criminel et de me voir confier une tâche si simple par la même occasion.
HOMME : Si tu appelles la police, je la tue. Compris ?
Le jeune caissier ouvrit la bouche mais semblait trop terrifié pour répondre plus que le mince filet de salive qui coulait dangereusement du coin de sa bouche.
VISALA : N’appelle pas la police, Greg, s’il te plaît.
HOMME : Tes clés de voiture. Maintenant !
Greg sursauta et enfonça une main tremblante dans sa poche. Elle en sortit une seconde plus tard, tenant du bout des doigts une clé accrochée à une petite boule de fourrure blanche.
Le pistolet me poussa à nouveau doucement vers l’avant, m’indiquant que c’était à moi de l’attraper, et je m’exécutai sans broncher.
L’homme tira sur mon col, pas assez fort pour m’étrangler mais suffisemment pour me convaincre de le suivre vers la porte de sortie.
Arrivés à l’extérieur, le malfrat trouva rapidement la voiture de Greg, garée à quelques mètres de nous, lorsque celle-ci répondit par un bref coup de klaxon au bouton de la clé qu’il m’avait ordonné d’activer.
Il ouvrit la portière du côté conducteur, me poussa à l’intérieur et s’installa à côté de moi sans jamais baisser sa garde.
HOMME : Tu sais conduire ?
J’hésitai à lui faire remarquer qu’il était maintenant un peu tard pour me poser cette question, mais décidai de me retenir.
VISALA : Je n’ai pas eu mon permis, j’ai grillé un feu rouge à mon examen, mais pour ma défense, c’est uniquement parce que j’étais trop concentrée sur la route.
L’homme me lança un regard qui m’indiquait que sa journée avait assez mal commencé et qu’il pouvait perdre son calme à tout moment.
VISALA : Je devrais m’en sortir.
Je démarrai prudemment, soucieuse d’appliquer aussi soigneusement que possible les règles de conduite que j’avais apprises durant mes leçons tout en semblant assez confiante et -- je l’espérais -- impressionnante pour rappeler à mon ravisseur que je lui étais plus utile vivante.
HOMME : Doucement. Ne nous fais pas repérer.
Parfait. Je ne voulais pas rouler trop vite pour le moment. J’avais besoin d’au moins quelques minutes pour devenir une pilote professionnelle.
HOMME : Va vers l’autoroute. On doit avoir quitté la ville avant que ce gamin appelle la police.
Je m’arrêtai à un feu rouge. Le temps semblait soudain passer si lentement, et le silence pesant ne faisait qu’empirer la situation déjà délicate. Sans regarder mon passager, je décidai de briser le silence.
VISALA : Je m’appelle Visala, au fait.
L’homme sembla hésiter un moment, mais répondit à moitié à contre-coeur.
HOMME : Luke.
Le feu passa au vert. Mon pied se posa sur l’accelérateur et nous nous approchâmes de la sortie de la ville.
La journée avait au moins plutôt bien commencé.

A suivre...