Episode 1

8 Ceron 995 

Mon nom est Visala Fisher. Je suis née le 21 Aria 976 à Farens, où mes parents vivent toujours. En 994, à l’âge de dix-huit ans, j’ai déménagé à Thalion, la capitale Odysséenne, pour y débuter mes études vétérinaires à l’université. J’ai été engagée comme livreuse à mi-temps par le Réseau Postal Odysséen, comme beaucoup d’autres étudiants avant moi, ce qui me permit de payer mes factures et de mener une vie assez confortable, du moins à mon goût.
Très prise par mon travail et mon programme scolaire chargé, je menai une vie solitaire, ce qui ne me déplaisait d’ailleurs pas, de nature réservée, et limitai mes interactions sociales à quelques sorties par mois avec Liz, une étudiante en journalisme que j’avais rencontrée par hasard à la sortie de mon premier cours de l’année.
Je n’avais jamais été particulièrement proche de mes parents, et nous ne nous donnions que peu de nouvelles. Je ne les voyais que quelques fois par an, même s’ils ne vivaient qu’à une centaine de kilomètres de Thalion, et cette situation ne semblait pas les perturber plus que moi.
Mes études m’intéressaient beaucoup, mais je me demandais souvent si cet intérêt finirait un jour par se transformer en passion. J’allais bientôt finir ma première année de cours et l’approche des examens m’effrayait bien moins que la plupart des autres étudiants. Je n’arrivais pas vraiment à me projeter dans l’avenir, et à m’imaginer diplômée, vêtue d’une blouse, soignant les chiens et les chats d’un petit village en bord de mer, contrairement à ce qui semblait être attendu de moi. J’avais l’impression de suivre cette voie pour m’occuper plus que pour réellement préparer mon avenir.
Mon travail me faisait très précisément le même effet. Si j’avais été renvoyée du jour au lendemain, je n’en aurais pas perdu une seule minute de sommeil. Ce n’était pas un travail désagréable, loin de là. J’avais juste beaucoup de mal à m’y attacher, ou simplement à le prendre au sérieux. Ce n’était qu’une autre partie de ma vie, au même titre que le restaurant jiannais en face de chez moi ou la ligne 4 du monorail que j’empruntais pour aller à l’université : j’en voyais l’utilité mais n’y pensais plus une fois sortie.
Quant à Liz, elle était surement la personne la plus présente dans ma vie, ce qui aurait été une excellente raison, je pense, de la voir différemment, mais la réalité était qu’elle n’apportait pas beaucoup plus à mon existence que le restaurant ou le monorail. Elle arrivait souvent à me faire rire, elle avait été là à chaque fois que j’avais eu besoin d'aide, mais elle n’était pas plus que l’université ou mes parents la raison qui me poussait à me lever le matin.
Il y a tout juste quelques jours, je n’avais pas de raison de me lever le matin, ou du moins pas de solide motivation, au-delà de ce qui ressemblait plus à une simple habitude.
Il y a tout juste quelques jours, j’ai décidé de tout abandonner : mes parents, mes études, mon travail, Liz. Ma vie toute entière, effacée en l’espace d’un instant, pour faire place à quelque chose de nouveau. Plus qu’une simple existence, une histoire, dont j’aurais enfin envie un jour de me remémorer chaque seconde.
Il y a tout juste quelques jours, un homme a traversé mon pare-brise.

J’étais sortie tard de l’université, où j’avais passé la journée à la bibliothèque, perdue entre mes révisions et les livres d’histoire que j’avais pris l’habitude de feuilleter pour passer le temps, et le hasard, faisant que mon téléphone sonna précisément au moment où je le rallumai, me rappela à la réalité comme une douche froide.
Il s'agissait de Richard, mon patron, et je n’avais pas besoin de le laisser commencer pour deviner la raison de son appel.
VISALA : Richard ? A quelle heure tu as besoin de moi ?
RICHARD : Jona a eu un accident en face du stade. Rien de grave, mais sa voiture est morte, j’ai besoin que tu ailles chercher sa cargaison et que tu finisses sa tournée.
VISALA : Pas de problème, j’y vais.
RICHARD : Tu me sauves, Visala.
Une heure plus tard, j’étais au volant de l’une des camionnettes rouges RPO, traversant l’un des plus grands quartiers résidentiels de la ville pour livrer à une trentaine de clients mécontents leurs colis en retard.
Pas un travail désagréable. Mais il ne me manquerait pas.
Après avoir réuni un cinquantenaire particulièrement froid avec un paquet qu’il attendait depuis, d’après ses propres mots, une éternité, je me laissai tomber sur le siège conducteur et pris une minute pour souffler avant de redémarrer. Je fermai les yeux, le temps de m’imaginer dans une situation réconfortante pour me redonner du courage, et n’en trouvant aucune d’assez satisfaisante, je les rouvris juste au moment où un homme s'introduisait dans la voiture du côté passager et s’installait à côté de moi, l’air essoufflé et un peu paniqué.
Je remarquai aussi le pistolet qu’il appuya contre mes côtes.
LUI : Démarre.

Luke, car c’était son nom, n’était pas beaucoup plus grand que moi, mais assez carré pour me convaincre que le contrarier n’était pas dans mon intérêt. Il était plutôt sympathique, outre son côté preneur d’otage. Il avait d’ailleurs voulu m’assurer immédiatement que son arme n’était là que pour me dissuader de faire quoi que ce soit de stupide, comme refuser de l’aider à échapper aux autorités par exemple, et qu’à la seconde où il aurait passé la frontière, il me laisserait repartir saine et sauve.
Tout ce que j’avais lu ou vu à la télévision indiquait que la meilleure chose à faire dans ma situation était d’obéir le plus calmement possible, ce que mon sens logique ne semblait pas contredire. Je pris donc la route de Dimzad en silence, tentant de ne pas penser au pistolet qui reposait maintenant sur les genoux de mon passager, toujours pointé dans ma direction, et me retenant de poser les questions indiscrètes qui me démangeaient.
Quelques minutes après la sortie de Thalion, cependant, Luke ouvrit la conversation, aussi naturellement que le permettaient les circonstances, probablement dans l’espoir de créer une atmosphère plus détendue pour les douze heures qui nous séparaient de la route principale du Désert des Ombres, qui s’étendait de Dimzad à Rugbura en une ligne droite de plus de trois-mille kilomètres.
Il se contenta de me demander mon nom et ce que je faisais dans la vie, avant de se souvenir du logo RPO sur le côté de la voiture et de s’insulter à voix basse, ajoutant qu’il était conscient que sa question était stupide et qu’il préférait que je n’en reparle pas. J’obéis à nouveau et osai prendre la parole à mon tour, espérant qu’il n’y serait pas opposé. J’optai pour une première approche à voix basse, peut-être un peu trop hésitante, mais qu’il ne pourrait que juger inoffensive.
VISALA : Pourquoi Dimzad ?
Je me doutais de la réponse, mais j’avais peur de paraître trop agressive en lui demandant trop vite pourquoi il était recherché.
Il poussa un bref soupir, visiblement soulagé de ne pas passer le reste du voyage en silence.
LUKE : Le paradis, pour un type comme moi. Plus de loi, plus de prison, un nouveau départ. Le reste de la population ne vaut pas mieux que moi, là-bas. Personne ne voudra savoir ce que j’ai pu faire dans le passé.
Il marqua une pause, puis me jeta un regard.
LUKE : Tu veux savoir ce que j’ai fait, je suppose ?
Je gardai les yeux sur la route et ne répondis pas, ce qu’il prit pour un oui, assez justement d’ailleurs.
LUKE : J’ai tué un type.
Je m’étais attendue à plus rassurant mais ne me laissai pas démoraliser.
LUKE : C’était un accident, honnêtement. On avait tous les deux bu, on s’est battus, j’ai frappé plus fort, et il ne s’est pas relevé. Je sais pourquoi j’ai été condamné, et j’aurais surement pris la même décision si j’avais été le juge, mais je ne passerai pas ma vie derrière les barreaux.
Il me laissa quelques secondes pour réagir, mais je ne trouvai aucune réponse pertinente.
LUKE : Tu penses que je ne vaux pas mieux que n’importe quel autre criminel, c’est ça ?
J’avalai ma salive, regrettant déjà ma curiosité.
VISALA : Ce n’est pas vraiment à moi de le dire.
LUKE : Bien sûr que si ! Tous ces juges, ils sont aveuglés par leurs textes, leurs lois sacrées et toutes ces conneries. Toi, tu n’as que ton opinion, tu es censée en penser quelque chose. Merde, c’est ton droit après tout.
Il allait me laisser répondre mais prit la peine de terminer son argument sur un ton qui se voulait plus rassurant.
LUKE : Je ne t’en voudrai pas, je me déteste pour ce que j'ai fait. D’où l’idée de quitter le pays. Vois ça comme un exil, c’est une sorte de punition que je m’inflige. Pas comme si j’étais ravi de quitter la ville où je suis né...
Il m’adressa un regard que je pris comme une invitation au dialogue, et je préférai ne pas tester sa patience. Je bafouillai une réponse plus prudente que sincère.
VISALA : Personne n’est à l’abri d’un accident. Ca ne fait pas de toi un meurtrier.
Il laissa échapper un éclat de rire et se détendit un peu.
LUKE : Je pensais bien que tu répondrais quelque chose comme ça... Rassure-toi, quelques heures de route, et tu n’entendras plus jamais parler de moi...

Luke commença à montrer de plus en plus de signes d'inquiétude au fur et à mesure que nous nous rapprochions de la frontière, jetant à intervalles réguliers un regard dans le rétroviseur, puis se tournant une seconde plus tard, comme pour vérifier que rien ne lui avait échappé. Quelques gouttes de sueur se mirent à couler le long de ses tempes, et sa respiration devint rapidement très saccadée.
VISALA : Un problème ?
Question stupide... Evidemment qu'il avait des problèmes, il venait de s'évader de la prison la plus sécurisée du pays, ce trajet n'était surement pas plus pour lui que pour moi une promenade de santé. Mais j'espérais que parler de ce qui semblait tant le préoccuper le détendrait un peu, ce qui ne pouvait être que dans mon intérêt si j'en jugeais par la main tremblante qui tenait maintenant l'arme qui pointait toujours dangereusement dans ma direction.
Peut-être aussi que la fatigue que je ressentais un peu plus intensivement après chaque heure passée au volant me poussa à prendre la parole plus librement qu'au début de notre voyage, ne serait-ce que pour entretenir autant que possible la conversation qui retardait le moment où je tomberais inévitablement de sommeil.
LUKE : Tu ne trouves pas ça... bizarre ? On est presque sortis d'Odyssée, et toujours pas de voitures de police...
VISALA : Ca ne devrait pas te réjouir ?
LUKE : Si... C'est juste étrange. Je pensais juste qu'ils nous auraient déjà rattrapés à cette heure-ci...
J'essayai d'y réfléchir mais j'étais bien trop épuisée pour arriver à une conclusion logique et je décidai de garder la question dans un coin de ma tête pour le moment.
Trente minutes plus tard, nous aperçûmes enfin pour la première fois au loin le large barrage de contrôle qui marquait la sortie du territoire Odysséen. Luke décida de profiter de la dernière station sur la route pour refaire un plein de carburant et acheter de quoi manger et boire pour le reste du périple en plein désert.
Même ici, l'air était déjà chaud et sec et le sol rocailleux. Jamais je ne m'étais autant approchée du Désert des Ombres, et un sentiment d'appréhension s'empara de moi à l'idée de m'aventurer dans l'environnement inhospitalier que j'avais jusqu'alors seulement pu deviner à travers les livres ou les films. Malgré cela je ne pus ignorer ce qui ressemblait inexplicablement à de l'excitation alors que je remplissais le réservoir de la fourgonnette. Une partie de moi avait l'impression d'être en vacances. Je me surpris même à songer à revenir par moi-même visiter la région une fois que toute cette histoire ne ferait plus que partie du passé.
Je remis la pompe à essence à sa place juste à temps pour voir Luke poser une main sur l'arme qu'il avait dissimulée à l'intérieur de sa veste.
LUKE : Prête ?
VISALA : Qu'est-ce que tu fais ?!
LUKE : Il nous faut des vivres. Le soleil se lève tout juste, dans quelques heures la chaleur sera intenable, on ne tiendra pas jusqu'à Dimzad sans eau fraîche.
VISALA : Mais tu ne peux pas le braquer !
LUKE : Je sors de prison, Visala, je n'ai pas d'argent !
Je sortis de ma poche mon porte-feuille et en sortis ma carte bancaire, insistant du regard pour qu'il lâche son pistolet.
VISALA : Tu as assez d'ennuis comme ça ! On est à un kilomètre du Désert des Ombres, tu peux être certain que ce type est armé aussi ! Tu veux passer la frontière ? Laisse-moi payer et ressortir inaperçue.
Luke hésita un instant mais finit par se résigner.
LUKE : Entre la première. Je serai juste derrière toi, alors ne tente rien.
Je lui lançai un soupire exaspéré, comme pour lui reprocher d'avoir si peu confiance en moi, et je réalisai alors avec étonnement que l'idée de m'enfuir ou de demander de l'aide au caissier ne m'avait même pas traversé l'esprit.
J'attrapai rapidement deux sandwiches et quelques bouteilles d'eau dans un frigo et les posai devant le vendeur aussi naturellement que possible. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, à la barbe bien taillée et vêtu d'une chemise impeccable ainsi que d'une cravate rouge nouée avec soin. Son badge indiquait qu'il était le patron du magasin, et les regards perplexes qu'il jetait discrètement à Luke par-dessus mon épaule ne me disaient rien de bon. J'espérais de tout coeur qu'il se contenterait de me faire payer et de nous souhaiter une bonne route, mais il ne l'entendait malheureusement pas de cette oreille. Il observa quelques secondes notre camionnette à travers la vitre et fronça les sourcils.
LUI : Réseau Postal Odysséen, hein ? Je vous ai jamais vus si près de la frontière... Vous n'avez quand même pas l'intention d'aller avec votre cargaison dans le désert ? C'est risqué, même à deux.
Je réfléchis rapidement à une réponse, m'efforçant d'être aussi crédible que possible.
VISALA : Non, nous nous sommes juste un peu égarés...
LUI : M'en a l'air... Pourquoi faire le plein ici ? Vous devez bien avoir des stations en ville, non ?
VISALA : Je n'ai pas dû faire attention au réservoir... Il ne me restait surement pas assez pour retourner jusqu'à Moranth.
LUI : Vous savez ce que je pense, moi ?
Sa main glissa lentement sous le comptoir et je l'implorai du regard de ne pas aller plus loin. Mais sa décision était prise.
LUI : Je pense que vous êtes la gamine qui est portée disparue depuis hier, et que cette fourgonnette est celle que la police recherche.
Je savais qu'il avait une arme entre les mains, mais Luke avait été plus rapide. Il passa un bras autour de ma gorge et posa le canon de son pistolet contre ma joue.
LUKE : Garde les mains où je peux les voir !
Le commerçant obéit à contre-coeur, fusillant Luke du regard.
LUI : Tu n'as pas besoin d'elle. Prends ce que tu veux et reprends la route, mais laisse-la.
Même si j'étais reconnaissante des efforts qu'il faisait pour me libérer, j'aurais préféré que l'homme ne montre pas de résistance, consciente que Luke n'avait pas l'intention de se rendre, quitte à le tuer s'il se sentait menacé.
LUKE : Pose ton arme sur le comptoir. lentement.
A nouveau, l'homme obéit, et releva immédiatement les mains.
LUKE : Visala, donne-la moi.
J'attrapai le pistolet par le canon et le lui tendis. Il le rangea dans sa veste avant de me pousser doucement vers la sortie. Je récupérai notre sac de vivres et quittai le magasin, suivie de près par Luke, qui attendit d'être installé dans la voiture pour quitter le gérant des yeux et baisser son arme.
LUKE : On s'arrache.

LUKE : Il a déjà dû avoir le temps de les prévenir.
Luke avait raison. Ce n'était plus qu'une question de minutes avant que les barrières du poste de sécurité soient toutes protégées par les voitures de police.
Il posa à nouveau son arme contre ma tempe, s'empressant de répondre à mon sursaut d'une voix qui se voulait réconfortante.
LUKE : Je suis désolé, c’est le seul moyen qu’ils nous laissent passer. Ils ne feront rien s’ils pensent que tu es en danger. Fonce, et ne t'arrête pas.
Je ne savais plus trop en qui j’avais le moins confiance, ni par qui j’avais le plus de chances de me faire tuer, mais j’avais passé la nuit entière au volant et la pression ne suffisait plus à combattre la fatigue. Luttant pour garder les yeux ouverts, j’appuyai sur l’accélérateur, réalisant assez vite que j’avais plus de raisons de craindre une course poursuite dans mon état que le pistolet que Luke tenait d’une main tremblante.
J'eus seulement le temps d'apercevoir l'expression de panique sur le visage de l'un des agents de sécurité avant de percuter la barrière à pleine vitesse, la brisant en deux et enfonçant le pare-choc dans la carrosserie. Même Luke sembla légèrement apaisé à la vue du panneau poussiéreux et à moitié embouti qui indiquait l'entrée du Désert des Ombres, mais nous savions tous les deux très bien que la journée ne faisait que commencer.
Moins d'une heure plus tard, les sirènes se firent entendre au loin, et les gyrophares de plusieurs voitures de police furent bientôt visibles dans le rétroviseur quelques centaines de mètres derrière nous.
Les forces de l'ordre semblaient plus enclines à garder un oeil sur nous qu’à nous rattraper, ce que Luke associait à leur peur qu'il me fasse du mal s'ils s'approchaient trop. A chaque fois qu'une voiture prenait trop de vitesse, il tirait quelques balles dans les airs à travers la vitre pour leur rappeler qu'il était armé et me tenait toujours en otage.
LUKE : Ils tenteront le tout pour le tout quelques dizaines de kilomètres avant l’entrée de Dimzad. C’est là qu’il faudra aller très vite, pour ne leur laisser aucune chance de nous arrêter.
VISALA : Luke, je ne sais pas si j’y arriverai... J’ai du mal à rester éveillée.
Il posa une main sur mon épaule, et malgré l’instinct de survie d’un homme dos au mur, j’entendis dans sa voix une réelle compassion.
LUKE : Visala, je sais que je te demande beaucoup, mais tout ça est bientôt fini. Dans quelques heures tu seras chez toi, et tout ça ne sera plus qu’un mauvais souvenir pour nous deux. Accroche-toi.
Mais je roulais depuis plus de vingt-quatre heures à présent, et la fatigue était trop forte. Je savais que je ne tiendrais plus longtemps. A nouveau, je décidai d'ouvrir la conversation pour rester éveillée alors que même conduire ne demandait plus aucun effort de ma part sur l'interminable ligne droite qu'était la route des Ombres.
VISALA : Comment as-tu réussi à t'échapper ?
Luke sembla comprendre immédiatement ce qui avait provoqué ma question, car il détourna toute son attention des voitures de police derrière nous pour me répondre d'une voix volontairement forte et présente.
LUKE : Un soir dans la cour, un garde m'a fait signe de le suivre dans un coin. Il voulait me fouiller qu'il disait. Il m'a amené à l'écart, en réalité il voulait me vendre des cigarettes et de l'alcool, ce pourri devait faire le coup à tous les prisonniers pour arrondir le fins de mois. Personne ne nous voyait, on était juste en face du portail, je l'ai assommé et je lui a pris les clés et j'ai couru. J'ai juste eu le temps de disparaître à un coin de rue avant d'entendre l'alarme sonner...
Je fixai mes yeux sur l'horizon et tentai de regagner ma concentration. Au point où j'en étais, j'avais bien l'intention de nous mener tous les deux sains et saufs à Dimzad.

Le soleil était haut dans le ciel lorsque les voitures de police commencèrent à nous rattraper. Luke avait beaucoup de mal à garder son sang froid, et c’est quand il me bouscula par mégarde dans son agitation que j’ouvris les yeux en sursaut, réalisant que j’avais dû m’endormir quelques secondes et que je ne tarderais pas à perdre connaissance pour de bon.
LUKE : Merde, ils ont envoyé un hélicoptère ! Il faut les distancer, accélère !
J’obéis machinalement, sans m’en rendre vraiment compte. J’entendais les bruits de moteurs se rapprocher, ainsi qu’un vrombissement qui devait venir de l’hélicoptère et qui m’indiqua que celui-ci se trouvait quelque part au-dessus de nous, lui aussi de plus en plus proche.
LUKE : Tiens bon, Visala, plus que kilomètres ! On sera bientôt à Dimzad !
Le bourdonnement devint bientôt assourdissant, me donnant un mal de tête que j’étais trop épuisée pour supporter, et qui menaçait de me faire perdre tout contrôle.
La vue trouble, j’aperçus l’hélicoptère nous dépasser, à juste quelques mètres du sol, et j’entendis une voix hurler un mot qui ressemblait à «Bigot !», peu importe ce que cela voulait dire.
Puis l’homme traversa mon pare-brise.
Le choc et le vacarme eurent l’effet d’une douche froide, et la seule chose que mes yeux virent en se rouvrant après l'impact fut son visage, pratiquement collé au mien. Il me sourit de toutes ses dents, malgré le sang qui coulait abondamment de son front parsemé de morceaux de verre cassé et désarma Luke d’une main alors que l’autre le soulevait sans le moindre effort, ignorant ses hurlements, avant de le jeter au milieu de la route derrière nous.
Mon pied se posa sur le frein mais j’avais perdu connaissance avant de pouvoir appuyer.

A suivre...